Valet qu’on bat, filou qu’on pend, joueur qui triche,
Mendiant, proxénète, et pamphlétaire enfin,
J’ai su manger de tout pour manger à ma faim.
Mais mon fier appétit avait d’autres fringales.
Orgueil, farouche orgueil, c’est toi seul qui régales
L’insatiable ardeur d’un cœur ambitieux ;
Et j’aurais sans pâlir escaladé les cieux
Pour y renverser Dieu, si je n’étais athée.
Son ombre au moins vivait, son ombre redoutée,
Cette ombre dont ma force est vêtue aujourd’hui,
Faite des lâchetés de ceux qui croient en lui.
Oh ! ce qu’il m’a fallu d’obscure patience.
De forte hypocrisie et de vaine science,
Pour ramper jusqu’au sceptre avant de le saisir !
J’ai su châtrer mes sens en rut vers le plaisir.
Ma chair servait d’hostie au fond du Saint-Ciboire.
Dans le calice, au lieu du vin qu’on doit y boire,
Moi, je buvais mes pleurs et ma bile et mon fiel.
Même quand les honneurs y versèrent leur miel,
L’absinthe remontait aux lèvres du calice.
Sous les splendeurs de la pourpre cardinalice
La haire m’enfonçait dans le ventre ses crins
Et le cilice en feu ceinturonnait mes reins.
Mais qu’importe ! À présent, je ne m’en souviens guère.
Je suis le Souverain Pontife, le vicaire
De ce Dieu que je crée en prononçant son nom.
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la chanson du sang