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LES DERNIÈRES IDOLES

Dont ton âme d’enfant fut jadis obsédée.
Sans le savoir, tu crois encor. Écoute bien :
Que l’Idole se fige en fétiche nubien,
Qu’elle cherche à cacher sa figure de sphinge
Sous le mufle du bœuf ou le museau du singe
Comme en Égypte, qu’elle arbore noblement
La face humaine ainsi que sous le ciel charmant
De la Grèce et de l’Inde, où la larve maudite
Prend la voluptueuse allure d’Aphrodite
Et l’héroïque aspect du vertueux Brahma,
Qu’elle soit tout le bien et le beau qu’on aima,
Qu’elle revête enfin sa forme la plus belle,
Et, pour toucher à fond le cœur qui se rebelle,
Pour émouvoir ceux-là qu’on ne peut convertir,
Qu’elle apparaisse dans le Dieu pauvre et martyr,
Dans Jésus-Christ, ou bien qu’elle se subtilise,
Se raffine, et devienne, en dernière analyse,
Une abstraction pure, un mot, sous tout cela
Elle est toujours l’Erreur qui nous ensorcela,
La mangeuse d’esprit, l’ennemie éternelle,
La Chimère, l’Idole, et si tu crois en elle,
Si tu suspends ta vie à son œil décevant,
Si tu prends pour quelqu’un ce rien rempli de vent,
Sous son masque d’idée ou son masque de plâtre
Tu crois encore à Dieu : tu n’es qu’un idolâtre.
Le Progrès, c’est la foi dans un but assuré.