Page:Richepin - Les Blasphèmes, 1890.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
304
LES BLASPHÈMES

Tu marches en disant : « Un jour j’arriverai
« Quelque part ; j’entrevois une halte possible ;
« Je vais comme une flèche en route vers la cible ;
« J’en approche aujourd’hui ; j’y toucherai demain ;
« Et la perfection est au bout du chemin. »
Mais alors il te faut une Loi nécessaire,
Un Ordre par lequel le monde se resserre
Pour s’absorber ainsi qu’une sphère en un point ;
Et ce centre, tu le sais bien, n’existe point
Sinon au sein d’un Dieu que l’esprit imagine,
En qui tout a sa fin comme son origine.
Tu peux l’appeler Force ou Nature, à ton gré,
Et voiler sous des mots obscurs chaque degré
Que tu gravis vers lui, lâche. Je te défie
De le noyer aux flots de ta philosophie.
Quand tu l’auras nommé comme tu l’as voulu,
Il restera toujours l’Infini, l’Absolu.
Tu ne le perdras pas dans ces métempsychoses :
C’est la Cause première où remontent les causes.
Les Causes et les Lois te tiennent prisonnier.
Les Causes et les Lois, c’est ce qu’il faut nier,
Si tu ne veux pas croire en Dieu. Prends pour principe
Que tout ordre, une fois qu’on l’admet, participe
À prouver Dieu. Dès lors sache voir l’Univers
Autrement que comme un poème dont les vers
Sont écrits par quelqu’un pour dire quelque chose.