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Page:Richepin - Les Blasphèmes, 1890.djvu/315

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LES DERNIÈRES IDOLES

Descends au fond de ta négation. Cherche, ose
Formuler ta pensée et choisir le Hasard
Pour unique raison de ce monde sans art.
Ne crains pas d’affirmer qu’avec assez d’étude
On verrait que les Lois ne sont qu’une habitude
Dont l’aspect éternel et la sublimité
Sont un effet d’optique à notre œil limité.
La plus haute des Lois, celle par qui les astres
Nous paraissent régis à l’abri des désastres,
Ne dure qu’un moment sans doute dans le cours
Du temps sans borne ; nous, dont mille ans sont plus courts
Qu’un éclair, nous avons pour la croire infinie
Notre brièveté qui fait son harmonie.
Mais je conçois sans peine, en quelque autre moment
Du Monde, que le Monde ait pu vivre autrement.
Ainsi je m’imagine une habitude inverse,
Les choses en tous sens fuyant à la traverse,
Se dispersant au lieu de s’attirer. Les corps
N’existent plus ; le ciel a changé de décors ;
La lumière s’éteint et la chaleur s’arrête ;
Rien ne peut s’attarder sous la forme concrète ;
Tout s’éloigne de tout et va se divisant ;
Et le Monde ordonné qui fleurit à présent,
Les soleils blancs, les bleus, les rouges et les jaunes,
Tous ces incendieurs flamboyants sur leurs trônes,
Tous ces victorieux drapés dans leurs habits