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LES MORTS BIZARRES

bien lui promettre d’aller avec lui. Nous l’aimions trop pour le quitter, lui qui ne nous avait jamais fait défaut, en quelque occasion que ce fût. L’expédition fut décidée.

II

Le capitaine avait son plan, qu’il ruminait depuis quelque temps déjà. Un homme du pays, qu’il connaissait, lui prêta une voiture et cinq vêtements de paysan. Dans les deux coffres du véhicule, deux de nous se blottirent, on mit par dessus de la paille, et on chargea le tout de fromage de Gruyères qu’on était censé aller vendre en France. Le capitaine dit aux sentinelles qu’il emmenait avec lui deux amis pour protéger sa marchandise en cas de vol, et cette précaution ne parut pas extraordinaire. Un officier suisse eut l’air de regarder la voiture d’un air malin. C’était pour en imposer à ses soldats. En somme, officier et soldats n’y virent que du feu.

— Hue ! Dia ! criait le capitaine en faisant claquer son fouet. Puis nos trois hommes parlaient en patois, fumant tranquillement leur pipe. Moi j’étouffais dans mon coffre où l’air n’entrait que par des trous sur le