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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/31

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LA UHLANE

Pauvre femme du capitaine ! Elle devait être bien punie de cette clémence.

Le lendemain, nous apprenions que l’armistice était étendu à la région de l’Est, et nous dûmes mettre un terme à notre petite campagne, que nous voulions continuer sur de nouveaux frais. Deux d’entre nous, qui étaient des environs, retournèrent chez eux. Nous ne restâmes plus que quatre en tout : le capitaine, sa femme et deux hommes. Nous étions de Besançon, qui restait investi malgré l’armistice.

— Demeurons ici, avait dit le capitaine. Je ne peux m’imaginer qu’on va comme cela finir la guerre. Que diable, il y a encore des hommes en France, et voici le printemps qui arrive. L’armistice n’est qu’un piège tendu aux Prussiens. On refait une armée pendant ce temps-là, et on va un beau matin leur retomber sur le poil. Nous serons prêts, et nous avons un otage, restons.

Nous établîmes là nos quartiers. Il faisait un froid terrible, et nous sortions peu ; il fallait que quelqu’un gardât toujours à vue la uhlane.

Elle était sombre, ne disait jamais rien, ou parlait de son mari que le capitaine avait tué. Elle regardait toujours celui-ci avec des yeux féroces, et nous sentions qu’un cruel besoin de vengeance la tourmentait. Cela nous semblait la meilleure punition des affreux tourments qu’elle avait fait subir à Piédelot. La vengeance impuissante est une si grande douleur !

Hélas ! nous qui avions su venger notre camarade, nous aurions dû penser que cette femme saurait