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Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/34

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LES MORTS BIZARRES

Mon ami,

Je vous écris selon ma promesse. Je suis pour le moment à l’auberge où je viens de remettre à un officier prussien ma prisonnière.

Il faut vous dire, mon ami, que cette pauvre femme laisse là-bas, en Allemagne, deux enfants. Elle avait suivi son mari, qu’elle adorait, ne voulant pas le savoir exposé seul aux hasards de la guerre, et les enfants étaient restés auprès des grands parents.

Voilà ce que je sais depuis hier, et ce qui a changé mes idées de vengeance en idées plus humaines.

Au moment où je me plaisais à insulter cette femme, à lui promettre d’affreux tourments, à lui rappeler Piédelot brûlé vif, et à lui préparer le même supplice, elle me regarda froidement et me dit :

— Qu’as-tu à me reprocher, femme française ? tu crois bien faire en vengeant ton mari, n’est-ce pas ?

— Oui, lui répondis-je.

— Eh bien ! j’ai fait en le tuant ce que tu vas faire en me brûlant. J’ai vengé le mien. C’est ton mari qui l’avait tué.

— Alors, lui dis-je, puisque tu approuves cette vengeance, prépare-toi à la subir.

— Je ne la crains pas.

Et de fait, elle ne semblait pas avoir perdu courage. Sa figure était sereine, et c’est sans frémir qu’elle me regardait ramasser du bois, des feuilles sè-