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À la vérité, l’hérédité s’oppose à l’idée de justice, — dont la conscience sociale contemporaine, dans son extension et son perfectionnement croissants, a une perception de plus en plus nette, et qui veut niveler, dans la mesure compatible avec le bien-être social, les conditions initiales artificielles de la lutte économique pour la vie ou pour une plus grande intensité de vie. Le droit d’hériter est l’antipode d’un principe pareil.

Spencer, comme d’ailleurs la plupart des sociologues et des économistes de notre temps, a résumé, sans faire aucune réserve, l’idée de justice dans la formule : « que chaque adulte recueille les résultats de sa propre nature et des actes qui en sont la conséquence »[1] ; il a dit encore : « que nul n’ait la possibilité de décharger sur les autres les conséquences mauvaises de ses actes » ; et en même temps il admettait sans restrictions le droit de tester. Mais l’héritier ne possède-t-il pas, dès sa naissance, les instruments de production dont, dès sa naissance, est privé le travailleur prolétaire ? La société est bien loin d’accorder à chacun selon ses œuvres et de laisser supporter à l’individu les conséquences de son tempérament et de ses actes, quand elle permet à l’héritier de vivre sans travailler, et qu’elle fait retomber sur ceux dont il est le parasite les conséquences de son oisiveté, voire même celles de ses vices.

  1. Justice, Paris, Guillaumin, 1893, page 31.