Page:Rignano, La question de l’héritage, 1905.djvu/39

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lon cette façon de voir, du capitaliste qui échange son épargne contre de nouvelles machines) « fait des idées, des outils, des matériaux, des procédés connus, un usage qui est à la portée de toute autre personne, et ne restreint la liberté d’action d’aucune »[1].

Cette assertion est complètement fausse. Ainsi, par exemple, le tisserand « à la main », par le seul fait que certains inventeurs ont imaginé, et certains capitalistes pratiquement appliqué le métier à vapeur, lequel tisse en trois heures ce qu’on ne saurait tisser à la main en moins de dix heures de travail, a vu diminuer immédiatement et presque dans la même proportion (non pas tout à fait la même, à cause du profil du capital technique) la valeur du produit de sa journée de travail. Ce qu’il fabriquait en dix heures a cessé d’équivaloir au produit de dix autres heures d’un labeur aussi intense et aussi compliqué que le sien, pour ne plus représenter que la valeur d’un travail de quatre ou trois heures seulement. N’est-ce pas comme si l’inventeur ou le capitaliste avaient enlevé aux tisserands une partie de leur force et de leur habileté ? comme s’ils les avaient mutilés en quelque sorte[2] ? Comment soutenir,

  1. Spencer, Justice, 128-129.
  2. Ainsi, par exemple, les tisserands à la main, dans la province de Biella, gagnaient jadis 50 centimes par mille coups de navette. À l’époque de l’invention du métier mécanique les mille coups furent payés 20 ou 22 centimes, et on ne les paie guère aujourd’hui plus de 12 centimes (Einaudi, Psicologia d’uno sciopero, dans la « Riforma sociale » du 15 octobre 1897, page 948).