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Page:Rilke - Les Cahiers de Malte Laurids Brigge.pdf/117

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les cahiers de m. l. brigge

Claus Daa et Sten Rosensparre, le dernier de sa race ; car d’eux tous j’avais vu des portraits dans la salle d’Ulsgaard, ou j’avais trouvé dans de vieux albums des gravures en taille-douce qui les représentaient.

Mais il y en avait ensuite beaucoup d’autres que je n’avais jamais vus ; peu de femmes, mais il y avait là des enfants. Mon bras était depuis longtemps fatigué et tremblait, mais je levais cependant toujours de nouveau la lumière pour voir les enfants. Je les comprenais, ces petites filles qui portaient un oiseau sur la main et l’oubliaient. Parfois un petit chien était assis près d’elles, une pelote était là et sur la table voisine, il y avait des fruits et des fleurs ; et derrière elles, à la colonne, pendait, petit et tout provisoire, le blason des Grubbe, des Bille ou des Rosenkrantz. On avait amassé autour d’elles une foule de choses, comme si autant de torts qu’on avait eus, devaient être réparés. Mais elles étaient debout, simplement, dans leurs vêtements, et attendaient ; on voyait qu’elles attendaient. Et cela me faisait de nouveau songer aux femmes, et à Christine Brahe, et je me demandais si je la reconnaîtrais.

Je voulus vite courir jusqu’au fond de la galerie et revenir de là en cherchant, lorsque subitement je me heurtai à quelque chose. Je me retournai si brusquement que le petit Erik se rejeta en arrière et chuchota :

— Prends garde à ta lumière.

— Tu es là ? dis-je hors d’haleine, et je n’étais pas très sûr que ce fût bon ou très mauvais signe. Ma lumière vacillait, et je ne distinguai pas bien l’expression de son visage. C’était peut-être plutôt mauvais