Aller au contenu

Page:Rilke - Poésie (trad. Betz).pdf/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentiments (on les a toujours assez tôt), ce sont des expériences, a écrit Rilke dans une page que l’on a maintes fois citée. Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses… Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des pays inconnus, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à des mers, à des nuits de voyage… Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs eux-mêmes ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers. »

On a souvent comparé Rilke à Hofmannsthal, et ce rapprochement de l’auteur du Livre d’images et du premier poète et auteur dramatique de l’Autriche impériale est à certains égards explicable. L’un et l’autre appartenaient à la même génération. L’un et l’autre étaient des poètes romantiques, tournés vers le passé, doués de sens aigus et de sentiments délicats. De plus ils