Aller au contenu

Page:Rilke - Poésie (trad. Betz).pdf/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Faut-il penser que l’expérience à laquelle il se trouve entraîné c’est l’étrange apprentissage que dans les Cahiers son héros Malte décrira ainsi :

« J’apprends à voir. Je ne sais pas pourquoi, tout pénètre en moi plus profondément, et ne demeure pas où jusqu’ici cela prenait toujours fin. J’ai un intérieur que j’ignorais. Tout y va désormais. Je ne sais pas ce qui s’y passe. »

Comment mesurer le progrès dans une telle entreprise, sinon par le dedans ?

De nouveau bruit plus fort ma vie profonde
comme roulant dans un lit élargi.
Proches de plus en plus me deviennent les choses,
et les images, toujours plus vues.
De l’ineffable je me sens plus familier ;
mes sens, tels des oiseaux autour d’un chêne,
se perdent dans le ciel agité par le vent,
ou, portés par les poissons, plongent
dans le jour brisé des étangs.

Connaissance intime du monde qui tantôt s’exprime en notations précises et subtiles, tantôt s’épanche en de grands élans lyriques où les choses tout à coup semblent perdre leurs contours, se confondent, emportées par le flot poétique ou, arrachées aux rives du réel, en arrivent à nouer les plus étranges rapports…