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Page:Rilke - Poésie (trad. Betz).pdf/19

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Telle est la nostalgie : habiter sur les vagues
et ne jamais avoir d’asile dans le temps.
Et tels sont les désirs : dialogue à voix basse
de l’heure quotidienne avec l’éternité.

Telle est la vie. Jusqu’au jour où, d’hier,
s’élève la plus seule entre toutes ces heures
et, souriant autrement que ses sœurs,
se taise, offerte à l’éternel.

Ainsi qu’une lumière infiniment douce, la poésie de Rilke ne s’est posée d’abord que sur les paysages et les choses dont il aimait la beauté en quelque sorte superficielle et évidente : un arbre, un enfant, un soir de printemps, une statue, une jeune fille… Mais bientôt, projetant aussi les ombres qu’elle portait en elle-même, elle modèle les autres visages de la vie : ceux dont la beauté n’apparaît qu’à qui les pénètre, à qui accepte de s’identifier avec eux.

Qu’il le veuille ou non, les choses et les êtres de plus en plus prolongent en lui leur vibration. Les plus humbles, les plus anonymes l’obligent à communier avec eux. Ils l’envahissent et vont jusqu’à se nourrir de sa propre substance :

Toutes les choses auxquelles je me donne,
s’enrichissent et me dépensent…