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Page:Rimbaud - Œuvres, Mercure de France.djvu/280

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francs et il faut encore ajouter les petits louis provenant des économies de ma mère.

Mon père était officier[1] dans les armées du roi. C’était un homme grand, maigre, chevelure noire, barbe, yeux, peau de même couleur… Quoiqu’il n’eût guère, quand j’étais né, que 48 ou 50 ans, on lui en aurait certainement bien donné 60 ou… 58. Il était d’un caractère vif, bouillant, souvent en colère et ne voulant rien souffrir qui lui déplût.

Ma mère était bien différente : femme douce, calme, s’effrayant de peu de chose, et cependant tenant la maison dans un ordre parfait. Elle était si calme que mon père l’amusait comme une jeune demoiselle. J’étais le plus aimé. Mes frères étaient moins vaillants que moi et cependant plus grands : j’aimais peu l’étude, c’est-à-dire d’apprendre à lire, écrire et compter… mais si c’était pour arranger une maison, cultiver un jardin, faire des commissions, à la bonne heure, je me plaisais à cela.

Je me rappelle qu’un jour mon père m’avait promis vingt sous, si je lui faisais bien une division ; je commençai ; mais je ne pus finir. Ah ! combien de fois ne m’a-t-il pas promis des sous, des jouets, des friandises, même une fois cinq francs, si je pouvais lui… lire quelque chose… malgré cela, mon père me mit en classe dès que j’eus 10 ans.

Pourquoi, me disais-je, apprendre du grec, du latin ? je ne le sais. Enfin, on n’a pas besoin de cela. Que m’importe à moi, que je sois reçu… à quoi cela sert-il d’être reçu, à rien, n’est-ce pas ? Si pourtant, on dit qu’on n’a une place que lorsqu’on est reçu. Moi, je ne veux pas de

  1. Colonel des cent-gardes.