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Page:Rimbaud - Œuvres, Mercure de France.djvu/285

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que de mourir !… » Mais, voilà : souper de rondeaux, d’effets de lune sur les vieux toits, d’effets de lanternes sur le sol, c’est très maigre, très maigre ; puis passent, en justes cottes, les mignottes villotières qui font chosettes mignardes pour attirer les passants ; puis le regret des tavernes flamboyantes, pleines du cri des buveurs heurtant les pots d’étain et souvent les flamberges, du ricanement des ribaudes, et du chant aspre des rebecs mendiants ; le regret des vieilles ruelles noires où saillent follement, pour s’embrasser, des étages de maisons et des poutres énormes ; où, dans la nuit épaisse, passent, avec des sons de rapières traînées, des rires et des braieries abominables… Et l’oiseau rentre au vieux nid : Tout aux tavernes et aux filles !…

Oh ! Sire, ne pouvoir mettre plumail au vent par ce temps de joie ! La corde est bien triste en mai, quand tout chante, quand tout rit, quand le soleil rayonne sur les murs les plus lépreux ! Pendus seront, pour une franche repeue ! Villon est aux mains de la Cour de Parlement : le corbel n’écoutera pas le petit oiseau ! Sire, ce serait vraiment méfait de pendre ces gentils clers : ces poètes-là, voyez-vous, ne sont pas d’ici-bas : laissez-les vivre leur vie étrange ; laissez-les avoir froid et faim, laissez-les courir, aimer et chanter : ils sont aussi riches que Jacques Cœur, tous ces fols enfants, car ils ont des rimes plein l’âme, des rimes qui rient et qui pleurent, qui nous font rire ou pleurer : Laissez-les vivre : Dieu bénit tous les miséricords, et le monde bénit les poètes.

(1870)