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LA MER ET LES POISSONS.

seulement qu’ils ne le sont pas, mais encore qu’il serait inutile qu’ils le fussent.

On oppose à notre opinion de prétendues probabilités découlant de l’ensemble des lois supérieures qui nous mènent. À notre tour, nous opposons la certitude des faits à des probabilités qui n’existent pas, et, par le témoignage des faits, de l’expérience et du temps, ces grands justiciers inexorables à condamner ce qui s’écarte des voies de la raison, nous arrivons à démontrer que, à l’inverse des champs continentaux, les champs de la mer se fécondent et épanouissent leurs moissons sous la seule influence des principes de fructification que la main divine a jetés là, complets, indépendants et exclusifs de toute coopération auxiliaire.

Donc, on s’illusionne étrangement en assurant qu’un jour viendra où « l’empire entier des mers sera soumis à la souveraine puissance de l’homme. » Que prétendons-nous faire dans cet empire, à peine accessible à nos sens, où rien ne se prête à devenir l’instrument ou l’auxiliaire de nos intentions, où tout, au contraire, se soustrait à notre influence et ne prospère qu’en liberté ?

Observons que, si le petit poisson était domesticable, le gros devrait l’être également, la nature ne faisant rien à demi. Quel progrès, dans l’art de la navigation, si, par de patients et persévérants efforts, nous pouvions parvenir à dresser les grands animaux marins, le marsouin, le souffleur, le cachalot, la baleine, à remplir un office analogue à celui que nous obtenons du cheval, du bœuf, du chameau et de l’éléphant !

Malheureusement, si ce n’est heureusement, le règne de l’homme, ainsi que sa puissance fécondante, s’arrête aux rivages. La mer, il est vrai, est notre tributaire, mais elle l’est uniquement par prédestination ; elle ne l’est pas et ne peut l’être par droit de conquête, nous voulons dire par cette puissance du travail humain multipliant et développant, sous mille formes, les