Page:Rimbaud - La Mer et les poissons, 1870.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
LA MER ET LES POISSONS.

Les produits marins sont tous immodifiables, tous incultivables. Tout ce qui vit dans la mer y germe, s’y développe et y parvient à maturité sans notre secours. Cependant, il dépend de nous que le niveau de cette vaste source d’alimentation monte ou descende. Nous le faisons monter en puisant à la source avec mesure ; nous le faisons descendre en exploitant la source avec âpreté. C’est tout simplement une affaire de discrétion, et, par conséquent, le seul art de cultiver les eaux, c’est la moisson intelligente et prévoyante, cet art dont l’attention s’est fâcheusement écartée depuis que l’on nous berce des illusions qu’a fait naître une fausse science.

Pourtant, affirme-t-on, la pisciculture peut au moins servir à repeupler les fleuves et les rivières. Oui si, après avoir répandu dans ces cours d’eau des œufs de poissons embryonnés, nous laissons à la nature le soin de les faire éclore et de distribuer selon ses propres lois, les alevins qui proviendront de l’éclosion. Non si, plus confiants en notre travail qu’en celui de la nature, nous entendons lui imposer une tâche qu’elle répudie.

La tâche dont la nature ne veut pas se charger c’est celle de refaire à la vie sauvage les générations d’animaux qui en ont été détournées par une éducation domestique. Comment peut-on s’imaginer que les brochets, les saumons, les lamproies, les tanches et les carpes qui auront passé leur premier âge dans des bassins d’élevage à se nourrir de substances charnues, cuites ou crues, bâchées ou râpées, soient aptes à vivre ensuite dans les eaux libres ? C’est folie de croire cela, car il en est des alevins nés dans une piscine comme des oiseaux élevés en volière. En cessant d’être captifs, ils périssent de leur inaptitude à profiter de la liberté. Rendez aux champs des allouettes ou des serins après les avoir habitués à la pâtée ou à trouver leur nourriture dans une auge, vous verrez ce qu’ils deviendront.

Fausse science donc que ces théories conduisant à des résul-