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LA MER ET LES POISSONS.

creusent toujours davantage, nous finissions par nous trouver dans le cas de n’avoir plus ni à vendre ni à manger du poisson ? C’est l’extrémité où nous conduisent l’égoïsme des intérêts présents et l’obstination de certains esprits à rattacher plus qu’il n’y a lieu le sort de notre réserve navale à celui d’une question économique.

Non possumus, disent les armateurs à la pêche intéressés au maintien du statu quo. C’est, en effet, impossible, assurent les croyants à la nécessité de laisser dévaster la mer pour que l’Inscription maritime ne succombe pas. Supprimer la pêche à la traîne, prétendent-ils, ce serait réduire, pour un temps trop prolongé, les moyens d’existence d’une partie de notre population maritime. Tant que la France tiendra à être une puissance riche et prépondérante, elle ne pourra pas faire le sacrifice des intérêts immédiats de cette population à la solution du problème surgissant de l’insuffisance des subsistances tirées des eaux. Ce sacrifice détournerait de leur métier bon nombre de marins et amènerait conséquemment un déficit dans les rangs de l’Inscription.

La crainte est sérieuse mais exagérée. Il ne faut pas s’en préoccuper plus qu’elle ne mérite. S’il est vrai, d’une part, que la proscription des filets traînants doive produire la conséquence fâcheuse, mais passagère, de ralentir tout d’un coup l’activité de l’industrie des pêches, d’autre part, nous ne devons pas perdre de vue que l’infertilisation de nos côtes entraîne le résultat de fermer peu à peu, mais irrévocablement, une des voies du recrutement de notre réserve maritime, en éloignant les Français de l’exercice d’une profession qui cesse d’être rémunératrice. Déjà, peut-on affirmer que sur une grande étendue de nos rivages méditerranéens, la pratique de la pêche est presque entièrement abandonnée aux Sardes et aux Napolitains. Sont ce les intérêts de ces étrangers que nous devons ménager au détriment des nôtres ?