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sept jours


SAMEDI


Comme tous les derniers samedis du mois, le député, monsieur Eustache Baribeault, vint visiter son fief de Saint-Julien. C’était pour lui d’ordinaire un véritable repos, une agréable excursion ; car nul endroit ne lui était plus accueillant que cette paroisse calme où il n’avait que des amis, où chaque élection lui apportait de foudroyantes majorités. Chaque printemps, il y venait aussi pour l’annuelle « partie de sucre » dans les splendides érablières du voisinage. Il avait surtout l’agrément d’y rencontrer des électeurs peu exigeants qui se tenaient pour satisfaits si les routes étaient entretenues et si le garde-chasse ne les empêchait point de chasser la perdrix ; et comme souscription, dix dollars à la tombola des Sœurs suffisait pour l’année.

Mais cette fois, il n’était pas depuis deux heures dans la circonscription que les tuiles commençaient à pleuvoir ; quel diable de vent avait pu passer sur son patelin ?

Tous ces visages avenants qu’il connaissait, il les rencontrait figés, avec des regards fuyants et des poignées de main vides d’amicale passion. Et partout des conciliabules à trois ou quatre voix qui s’éteignaient peureusement dès que résonnait un pas sur le trottoir fouetté d’une pluie agressive.

Il avait d’abord perçu cela chez les Moquin, où il avait fait en passant sa première visite ; de gros métayers dont le troupeau était un sujet d’orgueil et de cordiale envie pour tout le canton. Il y avait senti une réserve inaccoutumée. Puis chez les Rondeau, les Lacasse, les Emery Bouchette, tous ses fidèles. Si bien