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Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/25

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l’héritage

Il y avait eu le repos du midi, après la collation près de la rivière qui, sous la chaleur accablante et la méridienne, était une coulée d’étain. Albert avait proposé de se baigner et l’homme qui d’abord avait refusé, surpris de pareille idée, ou peut-être songeant à se rapprocher de la Poune, avait fini par le suivre. Ils s’étaient glissés parmi les roseaux, puis en plein courant, offrant à la lumière vitreuse leurs corps musculeux d’hommes durs à la peine. Quant à la Poune, elle avait dormi un somme.

Mais quand ce fut le dernier jour, avant qu’éclatât l’orage, l’air s’était fait plus énervant. Sentant venir la tempête, on se hâtait. Le ciel était si lourd que les gouttes de sueur, comme une pluie humaine, tom­baient dans le sillon. Et sans doute agacé par l’électricité de l’air, Jérémie s’était mis à taquiner de nouveau sa voisine, profitant de ce que ses mains étaient occu­pées pour lui frôler les genoux.

Le dos d’Albert, devant eux, s’était bizarrement ten­du.


✽ ✽

À quelques jours de là, il remarqua une coupure au front de la Poune.

— Dis donc, Marie, tu t’es battue ?

Elle continua de travailler sans répondre.

— J’cré ben que tu as fêté. Qu’est-ce que tu as là ?

— C’est rien, fit-elle d’une voix grise.

Il flaira quelque chose d’anormal.

— Es-tu tombée sur quéque chose ?

Cette fois elle tourna vers lui ses yeux lourds.

— Non ! j’suis pas tombée… C’est Jean-Jacques qui m’a fait ça.

— Jean-Jacques ?