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Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/28

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l’héritage

dont les braises annonçaient pour le lendemain une nouvelle journée pure et meurtrière.

Tout le jour on entendait l’archet des cigales dont les milliers de cris faisaient une seule et aigre clameur ; cela commençait au matin pour ne se terminer que tard dans la nuit, sous les feux plus doux mais toujours nus des étoiles. La chaleur, s’abattant sur les champs, appuyait de tout son énorme poids invisible pour écraser les faibles moissons des hommes.

Les ruisseaux, au début, avaient continué de chanter et de courir, insouciants, confiants en une pluie prochaine qui remplirait à déborder leur lit cascadeur. Puis leur aubade se fit plus faible, ne fut plus même un murmure. Là où il y avait eu des mares, on ne vit que des plaques lépreuses que chaque nouveau midi fendillait encore plus.

Au début, le tabac avait grandi sous l’embrasement, ses racines devenues profondes baignant encore dans l’humidité souterraine. Puis la chaleur avait pénétré la terre sableuse l’asséchant chaque jour un peu plus. Les plants avaient lutté, poussant plus loin leurs ra­dicelles, à la recherche de la moiteur qu’obscurément elles devinaient. Bientôt elles n’avaient plus rien trouvé ; partout, une croûte durcie par la chaleur et qui peu à peu s’émiettait, devenait poussière.

Alors les fibres avaient molli, et les feuilles ; leur couleur verte avait passé et leurs bords avaient commencé de s’ourler. Chaque jour les tiges s’affaissaient un peu plus, lasses, désespérées, mourantes.

Les paysans avaient d’abord attendu, puis lutté. Dès l’aube, ils étaient venus sur les champs ; par les coulées, ils descendaient hâtivement vers la rivière où remplir les barriques. À chaque plant, ils donnaient une gorgée d’eau mesurée qui, tombée en terre, disparaissait aussitôt comme par les trous d’une passoire. Mais le soleil