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Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/34

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l’héritage

verts comme ils eussent dû l’être à cette époque de l’année, mais jaunis, tout prêts à la flambée. L’air était visqueux d’humidité et la sueur coulant du front, à qui le soir n’apportait aucune fraîcheur, mettait du sel dans les yeux de l’homme ; quand il redressait la tête, il sentait sur sa nuque le froid de ses cheveux mouillés. À ses côtés, Pâtira haletait, la langue pen­dante à ras de la terre qui buvait sa salive.

Albert s’étonna de se trouver encore dans ce décor qu’il avait l’impression d’avoir déjà quitté ; il se retrouvait devant ses champs à lui comme au jour de sa venue : en étranger. Il lui semblait qu’il ne les connaissait point et qu’eux non plus ne le reconnais­saient pas ; et que la sécheresse avait détruit leur alliance temporaire après avoir bu avidement ses sueurs vaines. Il lui parut que son ombre même n’ad­hérait point à ce sol.

Debout sur le sable brûlant, il guetta la disparition du soleil. L’astre dansa un moment sur la corde de l’horizon ; puis sa face apoplectique disparut pré­cipitamment.

Le ciel restait étrangement plombé. Là-bas, la mai­son et les bâtiments s’estompaient un peu.

— Viens, Pâtira !

Ils remontèrent tous deux vers la maison ; le maître, la tête haute et vague ; le chien, le nez sur les talons du maître. L’homme s’assit sur le perron et attendit que la nuit fut tout à fait venue.

Alors il alluma son falot. Il passa de pièce en pièce, fermant derrière lui chaque porte, tirant les rideaux de chaque fenêtre. De son linge, il fit un baluchon semblable à celui qu’il avait apporté en venant ici, ni plus gros, ni plus petit.

Et quand la nuit fut tout à fait descendue, il se coucha. Lorsqu’il s’éveilla, il lui sembla n’avoir point