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l’héritage

donnait de ce côté. Elle avait passé une robe, mais ses souliers n’étaient pas lacés et ses cheveux, tombant en cascade sur son dos, la faisaient tenir la tête haute.

— Comment, c’est toi, Marie ?

— Où est-ce que vous allez comme ça ? Du doigt, elle montrait le baluchon balancé à bout de bras.

— … Ben oui !… ben oui… ! dit-il, sûr qu’elle avait deviné.

— Ah ! vous vous en allez… Où est-ce que vous vous en allez ?

— Je retourne en ville. C’est pas ma place ici.

Il s’était remis à marcher. La Poune hésita un moment puis fit quelques pas à ses côtés.

— Ça vous fait rien de vous en aller de même ?…

Il haussa les épaules et ne répondit point.

— … J’aurais mieux aimé le savoir d’avance.

— Pourquoi ! Il essaya de plaisanter : Est-ce que tu serais partie avec moi ?

Elle s’arrêta un instant, muette ; puis elle lui toucha doucement l’épaule et lui aussi s’immobilisa.

— Partir avec vous ?… Partir avec vous !…

Il y eut un silence. On entendit du bruit dans la maison des Vaillancourt. La Poune tourna de ce côté des yeux vagues. Elle dit doucement, et les mots jail­lirent du fond d’elle-même comme une eau pure du creux d’une source.

— Peut-être… oui… je serais partie avec vous… si vous aviez voulu.

Alors il la regarda droitement et toute : ses yeux clairs que jamais il n’avait vu volontaires comme en ce matin désolé ; la bouche fraîche dont les lèvres sou­riaient étrangement ; la taille fine ; la jambe pure sortant des souliers défaits.