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nocturne

Un coup violent, en pleine poitrine, le jeta par terre, jambes en l’air sur le pont dur. De la passerelle descendirent des cris. On avait sûrement touché un écueil ; ou une baleine comme l’an dernier… Il se relevait, curieux.

Il vit alors dans un éclair effroyable une partie du pont monter en l’air, hésiter puis retomber pesam­ment ; il eut même le temps de distinguer quelque chose de carré qui était le bout de la passerelle. Il lui sembla que les tympans lui éclataient avec une effroyable douleur. À côté de lui, une chaloupe, tom­bant du ciel, s’écrasa sur le bastingage et lentement bascula dans l’abîme.

Là où tout à l’heure le ciel était bouché par le bloc massif du château, ses yeux voyaient distinctement resplendir à travers une fumée les feux réguliers de la Grande Ourse.

« Nom de Dieu, nous avons touché une mine… Pourtant… Pas possible !… »

Une seconde explosion, puis une troisième le culbu­tèrent de nouveau, à plat sur le pont : deux déflagra­tions par l’avant. Alors il comprit… Trois mois plus tôt, dans la mer du Nord, huit navires d’un convoi de quarante…

Il se retourna ; une poutre d’acier tordue se tendait vers lui, magiquement apparue ; il s’y cramponna.

À ce moment, le pinceau lumineux du phare ef­fleura la mer ; distinctement il vit, à deux encâblures à peine, une longue silhouette noire à ras d’eau, coupée au milieu par la tourelle d’où sortaient des hommes ; des hommes joyeux qui venaient savourer leur exploit.

Ses jambes refusaient de le porter ; il les tâta d’une main inquiète qui descendit tout du long avec la terreur de subitement sentir le vide. Jambe droite :