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Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/63

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l’immortel

28 juin — Il me manque encore deux dollars pour parfaire la somme nécessaire. Il faut que je trouve quelque travail supplémentaire.

1er juillet — Quelle attente ! Dire que je trouvais « épouvantables » mes RÉVEILS d’il y a quelque temps ! ! ! Ils étaient un délice et un rafraîchissement à côté de ceux d’aujourd’hui, On dirait que le SOMMEIL pressent qu’il va être vaincu et que le RÉVEIL sait qu’il y aura bientôt pour moi un RÉVEIL qui sera le dernier. Je serai comme un dieu. Je serai immortel. JE SERAI DIEU.

4 juillet — Enfin. Demain l’apothéose. Je serai immortel demain.

Je l’ai là dans un tiroir, caché sous mes chemises. Demain, je tuerai le SOMMEIL. DEMAIN LE RÉVEIL SERA MORT.

5 juillet, minuit moins quart — Ce sera pour minuit. L’homme que je suis ne connaîtra pas demain ; car je serai dieu, ayant vaincu, étant devenu immortel. Hier, je m’inquiétais de l’avenir. Je ne songeais pas que sans doute je ne connaîtrais plus la faim puisque je ne connaîtrais plus les SOMMEILS où les résistances s’éteignent suivis du RÉVEIL où les forces s’épuisent dans la lutte.

Je me suis rasé les cheveux tout à l’heure, à l’endroit même où il faut que porte le coup. Je contemple avec émotion cette petite tonsure pâle par où entrera le plomb sauveur et, sur la table, l’arme douce et polie, le révolver dont la bouche sombre me donnera dans un instant le baiser qui me fera semblable à Dieu.

Perçant la barrière osseuse, la balle ira détruire le centre du sommeil. Un appuie-main assurera à la balle la direction exacte. Elle fera ce que les chirurgiens n’auraient su faire ; un trou minuscule par où