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l’amant de vénus

À cette époque, nous nous rencontrions plusieurs fois la semaine tantôt ici tantôt là : dans la mansarde de Jean-Marie, baptisé je ne sais pourquoi Pharamond ; dans « l’appartement » presque souterrain que Jean avait dégotté tout en haut de la rue Clarke ; chez la fille d’un riche industriel qui, amoureuse de chacun de nous tour à tour, nous était collectivement une espèce d’Égérie ; et de rares fois dans la vaste cave de la maison où le père d’Ulysse tolérait que son fils reçut des amis en qui pourtant il ne mettait nulle confiance. Dame ! quand on vend des huîtres en gros on tient à ce que son aîné fasse sérieusement son droit.

Cela avait duré tant que notre âge s’était maintenu dans les vingt. Cela s’était espacé approchant la tren­taine. Entrés sérieusement dans la quarantaine, rangés, casés, étiquetés, inscrits dans l’annuaire du téléphone, nous nous connaissions encore, mais ne nous reconnaissions guère.

Et voilà que Édouard Legendre s’était offert le luxe de rassembler ceux d’entre nous qui pouvaient encore se voir et qui étaient disponibles. Parmi les huit que nous étions, fumant la pipe qui avait remplacé la ci­garette, buvant le whisky au lieu de la bière des anciens jours, la conversation ne pouvait faillir à évoquer notre jeunesse révolue. Chacun des absents apparut sur l’écran, certains nets et bien au point, d’autres plus morts que les morts.

Jacques Marsan, celui-là même qui est maintenant sous-ministre de quelque chose à Québec, était avec nous par extraordinaire ; nous ne l’avions pas vu depuis une dizaine d’années, au moins.

— Un dont je me suis toujours demandé ce qu’il était devenu, dit notre hôte, c’est Sabourin.

Ce ne fut qu’un cri : « l’Amant de Vénus !»