Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
HÉLÈNE ET MICHEL

Michel reconnut l’endroit où, — il y avait si longtemps et si peu de temps — il avait passé près de Georgette une heure heureuse à regarder les oiseaux ivres de la lumière caressante du soir. Sur la terre glacée où les herbes étaient mortes, il se laissa tomber, cherchant à dégorger les sanglots qui refusaient de sortir et l’étouffaient. Il s’abandonna à la dérive de sa peine, oubliant pour un moment son orgueil blessé pour ne plus songer qu’à la douce figure de son amie, à la douceur de leurs simples caresses, à la volupté aiguë de leurs jeunes baisers.

Sortant de la terre comme une sève de mort, il sentit le froid qui lentement le gagnait. Son corps s’engourdissait de froid et de chagrin. Ses paupières étaient lourdes et dans ses veines courait un poison léthargique. Il songea un moment qu’il serait beau de mourir ainsi dans la nuit inhumaine. On le trouverait demain ; et parmi l’émoi qui secouerait la ville, l’infidèle sentirait dans le fond de son cœur que c’était pour elle et par elle qu’il était mort ainsi ; que c’était elle qui l’avait tué.

Puis il lui revint qu’ainsi il ne serait point vengé. Que son rival pourrait, tout à son aise,… Une vague de colère monta en lui dont le feu subit le brûla. Il se releva, serra les dents et les poings et partit vers la maison.

Mais avant d’entrer, il s’arrêta un moment pour se composer un visage. Il ne voulait point se trahir et qu’Hélène lui posât des questions.

Par-dessus tout, il craignait de subitement se mettre à sangloter sur les genoux de sa mère, comme un enfant qu’il n’était plus, qu’il ne voulait plus être.