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CHAPITRE

XII


– MONSIEUR GARNEAU !

— Oui, J’Édouard.

— C’est comme pour vous dire : de ce que c’est quasiment votre fille qu’elle aspire à vous voir, Jocelyne…

Sans laisser au vieil employé le temps de mettre bas une phrase fleurie à son gré, la jeune fille entrait dans le cabinet de son père, un bouquet de violettes à la main.

— Bonjour, papa !

Son bonjour était calme et posé, plus calme et plus posé qu’on n’eût attendu de cette bouche aux lèvres douces et de cette grande enfant, charmante bien que sans réelle beauté, saine dans son apparente fragilité. Elle n’avait point le corps des jeunes filles de son époque, ce corps modelé par les sports, dont les muscles bougent en un rythme somptueux et cadencé, mais en qui une vie semblable à celle de leurs compagnons a imprimé quelque chose de masculin. Parmi les autres, la féminité de Jocelyne détonnait et sa grâce. Quelque chose de préraphaélite. Jocelyne Garneau évoquait une allée en sous-bois, avec des jeunes ormeaux inclinés parmi les fleurs rustiques. De caractère délicat, sans tristesse ni gaité franches, il lui arrivait rarement de sourire sous ses cheveux blonds qu’elle laissait allonger pour s’en faire une couronne, suivant une mode d’autrefois qui revenait alors et qui seyait à sa fraîcheur.

— Ça va bien, J’Édouard ?

Le vieil homme arrêta sur le seuil de la porte ses pas traînants. Les années ne l’avaient point épargné. L’occasion était belle de parler de ses maladies.

— Ah ! ma petite Jocelyne !

Dame ! il l’avait vue grandir.

— … pour le rapport de ma santé, ça ne va guère. Il y a d’abord mon dentier du bas que je ne sache pas l’endurer. Et puis il y a mes pauvres de jambes… C’est de la thrite, que dit le docteur lui-même. Il faudrait me passer au Crayon X. La semaine dernière…

— C’est bon ; c’est bon ! Laisse-nous ! interrompit le patron, péremptoire.

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