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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/262

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LE POIDS DU JOUR

— Que c’est beau, répétait Adrien Léger. Je n’aurais jamais cru qu’une telle chose pût exister, si près de Montréal.

— Je ne voudrais jamais m’en aller d’ici ! Hypnotisée, Jocelyne ne pouvait détourner les yeux du spectacle.

« Moment d’enthousiasme », pensa Garneau.

Mais Jocelyne avait le caprice tenace. Elle savait vouloir. De son père elle tenait une constance qui n’avait point besoin de s’exprimer par des paroles. Pendant les jours qui suivirent, elle ne fit à la Montagne que de rares allusions. Mais elle restait doucement songeuse. Et tout ce temps le désir couvait en elle. Des jours plus tard :

— Tu sais, papa…

— Quoi donc ?

— Nous sommes retournés à Saint-Hilaire, Adrien et moi. Avec Jerry et Carmen Désilets. Ils ont été emballés comme nous.

— Bon.

— Si tu voulais, papa, si tu avais envie de me faire un beau cadeau pour mes vingt et un ans, au lieu d’un bijou, d’une bague, tu m’achèterais cette petite bicoque à Saint-Hilaire. Avec son verger.

— Tu es folle !

Elle était même allée aux informations. Le bonhomme Castonguay n’ayant apparemment pas envie de vendre, elle avait cherché ailleurs. On était en décembre. Sur les flancs du mont, effaçant plantes et rochers, l’hiver avait épandu les premières neiges, qu’elle cherchait encore.

— Sais-tu papa, j’en ai trouvé un qui serait peut-être à vendre.

— Un quoi ?

— Un verger à Saint-Hilaire ! U y a celui de monsieur Arbic, un peu plus bas dans la côte. Mais il est cher. Et un peu trop grand. Et surtout il n’est pas assez haut, à mon gré.

— Comment ? Tu penses encore à cela ?

— Ça ne fait de mal à personne d’y penser. Et puis, papa, franchement, jamais je n’ai autant désiré quelque chose.

Ce qu’elle ne disait pas c’est que sur ce point elle se trouvait d’accord avec Adrien Léger. Tous deux s’aimaient ; il était tacitement entendu qu’ils s’épouseraient, plus tard. Adrien voulait écrire. Et ses yeux d’artiste gardaient l’impression tenace du décor que Jocelyne lui avait révélé.

— J’y arriverai, tu sais, papa.

— Je ne peux pas croire que tu penses encore à Saint-Hilaire !

— Oui. J’y arriverai tu sais. Malgré ce que dit monsieur Noiseux.

— Et qu’est-ce qu’il dit, ton monsieur Noiseux ?

— C’est un bon vieux qui habite la grosse maison de pierre au pied de la côte, un ancien relais des diligences pour les Cantons de l’Est à ce qu’il