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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/273

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LES ANTIPODES

Elle ouvrit brusquement les deux fleurs pâles de ses yeux puis les ferma en détournant sa tête de la violente lumière du jour. Elle fut un moment ainsi, pelotonnée dans les couvertures. Elle s’étira ensuite sous les draps légers où ses pieds faisaient saillie et qui révélaient en flou ses formes graciles. Puis les brumes du sommeil enfin dissipées, d’un bond elle fut à genoux dans son lit.

— Bonjour, papa ! Bonjour !

Il resta un moment à sourire sans un mot.

— Je voulais t’apporter ton cadeau dans ton lit. Mais il est vraiment trop encombrant. Et je n’ai pas trouvé exactement ce que je voulais d’abord.

— Ça ne fait rien, papa. Une auto, je puis m’en passer. Et tu me gâtes assez.

— Tout ce que j’ai pour toi, c’est ce bout de papier.

Elle le regarda, soupçonneuse. Puis elle prit l’enveloppe qui contenait sans doute un chèque et l’ouvrit.

— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Je ne comprends rien.

Ce n’était pas un chèque. Elle riait de confiance à la plaisanterie, lisant sans les entendre les termes de loi et les formules de procédure. Une de ses mains tenait le document ; et l’autre, par instinctive pudeur, gardait serrée sur sa gorge menue la chemise de nuit qui voulait bâiller. Puis soudain elle jeta sur son père un regard brillant de larmes et de joie :

— Non ! non ! Pas possible ! Papa ! Tu es un amour !

Elle s’était cette fois jetée à son cou, le dévorant de baisers. Et comme il reculait en riant, elle se trouva tirée de son lit défait, ses pieds nus traînant par terre tandis que derrière elle, les couvertures arrachées lui faisaient une traîne royale. Mais elle n’avait point lâché l’acte notarié qui faisait d’elle, Jocelyne Garneau, la propriétaire d’une « maison d’habitation avec dépendances et un arpent de verger, au lieu dit mont Saint-Hilaire, comté de Rouville ».

Cela, pour Garneau, avait été moins difficile qu’il n’eût cru d’abord. C’est que le père Castonguay, malade, ne pouvait plus cultiver le verger dont il avait jusque-là péniblement vécu. Garneau n’avait eu qu’à acheter l’hypothèque et à mettre le vieux en demeure ou de payer les arrérages, ou de consentir cession contre une indemnité raisonnable. Le reste du verger avait été vendu à Gordien Lachance, un pomiculteur voisin.

En réalité, la « maison d’habitation » n’était qu’une masure. Il la faudrait refaire quasi de cave en comble. Garneau entendait mettre quelque deux ou trois mille dollars sur la réfection et l’ameublement de ce chalet auquel d’ailleurs Jocelyne tenait à conserver sa figure vieillotte et