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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/274

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LE POIDS DU JOUR

paysanne. Tout au plus voulait-elle lui donner de la couleur, de la lumière et l’entourer d’un jardin coquet.

La seule autre extravagance que se permit Garneau dans la disposition de ses fonds, ce fut de céder aux instances de son ami Lafrenière. Jamais l’Abitibi était pourtant désormais percée de mines en exploitation. Des fortunes en naissaient chaque année. Hennas lui-même était en passe de devenir sinon millionnaire du moins grassement capitaliste. Mais Garneau n’était pas sans savoir que pour une entreprise qui réussirait, il en serait cent où les braves gens alléchés par les prospectus et la passion du jeu perdraient leur mise.

— Écoute, Robert ! plaidait Lafrenière d’une voix pressante et sincère. C’est pour toi. Ou plutôt, c’est pour tes enfants, pour Jocelyne et pour Lionel. Je t’assure que ces mines-là, c’est du pas-ordinaire. Mieux que la Hollinger et que la O’Brien. Mieux que la Sullivan. Je te le dis : achète-lui de la Lorraine Gold. Il y a quelque chose là-dedans. Comme dans ma Northwestern Reserve et ma Carignan.

Il y avait chez son ami une si honnête confiance, et surtout il prenait la chose tellement à cœur, que Garneau pour lui faire plaisir consentit à prendre passage dans son bateau. Sans aucun bénéfice, Lafrenière lui céda quelques paquets d’actions au prix du syndicat. Garneau les mit au nom de Jocelyne.

— Tu serais bien surpris si avec ça ta fille devenait millionnaire ! Hein ! Ça s’est déjà vu, tu sais.

Pour moins de deux mille dollars, il avait eu neuf mille actions diverses. Il prit la liasse et l’enfouit dans son coffret de sûreté, à la banque. Tout au fond. Un enterrement. Quand cela fut terminé, il revint à l’affaire Leblanc-VanHegebeke.

Tout compte fait, il lui restait de disponible, placé en actions et en obligations facilement et rapidement réalisables, moins de quarante mille dollars.

Mais cela, certes, était suffisant pour repartir à neuf. Il n’en avait pas eu dix mille à lui quand, vingt-cinq ans plus tôt, il avait acquis la St Laurence. D’ailleurs cela suffirait amplement, avec les quelque mille que Leblanc entendait lui aussi placer dans l’affaire. Mais comme Robert aurait la majorité des actions, la nouvelle compagnie s’appellerait d’un nom d’ores et déjà décidé, la Garneau Fire Pump Company.

Pour l’instant, dans l’atelier qu’on lui avait loué avenue Bégin, sur la Côte-des-Neiges, sous les yeux de Leblanc et de Garneau l’ingénieur travaillait sérieusement a établir son prototype.