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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/303

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CHAPITRE

II


NON  !  Pas possible !

— Quoi donc, Jocelyne ?

— Josette Désilets qui a fini par se fiancer à Eddy Sicotte. Elle qui s’en est tellement moqué. En voilà un ménage où on ne parlera pas souvent français !

— Et pourquoi ?

— Oh ! Ils sont tous les deux tellement anglifiés.

Mais Robert laissait tomber. Ces noms pour lui ne représentaient rien.

Il se remettait à lire la seconde moitié du journal, celle de la Bourse ; Jocelyne avait pris la première qui contient le carnet mondain et les programmes de cinéma. Quelques instants plus tard, c’était à lui de s’exclamer :

— Tiens, il est mort ! Jamais je croirai !

— Qui ça, papa ? Je le connais ?

Il y a dans la voix de Jocelyne une tension inquiète. La mort, pour ceux de son âge, n’est pas encore une passante de tous les jours. Ses coups imprévus sont de révoltantes et injustes catastrophes. Tandis que pour Robert et ceux qui ne sont pas d’hier, ce n’est plus une surprise que de voir quelqu’un disparaître à l’improviste dans la trappe commune. Le choix seul, et sa fantaisie, les étonne parfois. Pourquoi celui-ci plutôt que celui-là ? Plus tard, on dira même :

— Ah ! un tel qui a été enterré ce matin ! Je le pensais mort depuis longtemps.

Celui dont le journal publiait ce jour-là une photo déjà vieille, c’était Donatien Beaugrand, ancien journaliste, pamphlétaire et maître-chanteur.

— Beaugrand. Donatien Beaugrand. Tu en as sûrement entendu parler, Jocelyne. Un drôle de numéro : qui passait son temps dans les bibliothèques et avait toujours un livre dans sa poche…

Pour donner ce renseignement, Garneau avait eu une intonation amusée dont sa fille n’avait point saisi le motif. À sa génération à elle, les bibliothèques étaient maintenant devenues familières.

— … À part cela, il ne se lavait jamais. Son père était Isaïe Beaugrand, de Saint-Hyacinthe, l’ami de monseigneur Larouche…

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