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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/311

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LA SOUMISSION DE L’HOMME

les yeux une véritable caresse. Regarder sa joue donnait l’impression de toucher un suède. Quant à son goût de l’étude, à l’attraction vers les choses positives, c’est de son père, homme de loi, d’affaires et de politique, qu’elle l’avait reçu. Il n’avait d’ailleurs en mourant laissé rien d’autre qu’une excellente bibliothèque fort peu orthodoxe où des collections scientifiques masquaient des petits bouquins licencieux.

Homme, elle se fût probablement adonnée aux mathématiques. Plus âgée que Jocelyne de sept ans, elle avait pris à l’Université un diplôme en histoire naturelle qui, dans les salons, lui avait valu un succès de curiosité. Car, il n’y avait guère alors, parmi le millier d’étudiants, qu’une demi-douzaine d’étudiantes. Geneviève était la seule en Sciences. C’est à cette époque qu’elle avait eu un faible pour Lionel. Une fois ses examens passés et à la grande surprise de tous, elle avait suivi le frère Marie-Victorin au Jardin botanique. Là, elle s’occupait de la bibliothèque et de l’herbier.

Naturellement solide, son esprit avait ainsi acquis une maturité imprévue. Sans coquetterie aucune, à peine féminine, elle portait des talons plats, des robes d’institutrice à la retraite et ses cheveux métalliques en bandeaux, comme les portraits des grands-tantes. Ce qui étonnait était par moments un voile de langueur dans ses yeux fermes. C’est qu’à vingt ans elle était passée par les mains d’un chirurgien qui l’avait laissée sans espoir désormais de maternité et avec bien peu d’inclination au mariage.

En Geneviève Lanteigne, Jocelyne avait rencontré ce que jamais elle n’avait connu, ce dont toujours la privation lui avait été sensible : une sœur aînée. Tandis que Geneviève trouvait apparemment doux de jouer parfois à la maman avec cette enfant de vingt-trois ans. Celle-ci avait battu des mains et dansé comme une petite fille en apprenant que son amie viendrait passer quelques jours à la maison.

— Je vais en profiter, avait dit la botaniste, pour herboriser un peu. J’ai justement besoin de quelques saxifrages. Et aussi pour flâner.

Robert ne se déplaisait point en la compagnie de Geneviève. Elle avait pourtant à peine trente ans, quand il passait la cinquantaine. Mais si elle savait, bien que rarement, être folle avec Jocelyne, courir décoiffée à travers les pommiers ou se laisser dorer au soleil demi-nue derrière un bloc de basalte, plus intelligente que sa jeune amie, elle pouvait aussi discuter de choses sérieuses, voire de politique, avec Robert pour qui cela en faisait une espèce de phénomène : une femme pensante. Il lui pardonnait presque ses tendances nettement socialistes. Lui non plus n’avait jamais eu de sœur. Et chez elle il rencontrait quelque chose comme une sœur cadette.

Levé à huit heures et demie, — comme il faisait depuis qu’il était désœuvré, — toiletté et habillé, Robert prenait le petit déjeuner servi par une jeune paysanne du voisinage qui venait en demi-journée.