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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/315

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LA SOUMISSION DE L’HOMME

que vous n’auriez pas envie de vous battre pour lui. Nous sommes chanceux d’avoir pour président un homme comme Roosevelt. Avec lui on est tranquille. Pas de danger qu’il nous arrive ce qui nous est arrivé avec Wilson. Il ne se laissera pas jouer par l’Angleterre. Nous ne sommes pas pour aller leur gagner leur guerre encore une fois. »

« Quand donc le Canada se réveillera-t-il ? Qu’est-ce que vous attendez pour demander votre admission dans les États-Unis ? »

Sa lettre finissait par :

« Un de ces jours, quand l’ouvrage me laissera le temps, je monterai vous voir à Montréal. Peut-être le printemps prochain. Ou le Quatre Juillet ».

— Est-ce qu’il s’ennuierait de nous ? remarqua Robert. Tu ne trouves pas, Jocelyne, qu’il y a quelque chose de différent dans sa lettre ?

— Peut-être bien, papa. Il me semble, moi aussi. En tout cas il ne m’a pas encore donné de neveu. Je ne connais même pas sa femme, Amy. J’aimerais tant cela. Je crois que j’irais à Philadelphie pour le baptême. Pas toi ?

Le père haussa les épaules sans répondre. Mais il resta songeur pendant quelques instants et sortit sans rien dire.

Cette guerre, dont Lionel parlait, semblait s’en aller vers un cataclysme. Les nouvelles continuaient d’être tragiques. Partout les digues crevaient sous la poussée de la marée allemande.

Au début, Robert avait suivi avec un certain intérêt le cours des événements. Il se rappelait l’autre guerre, celle à laquelle il eût participé comme soldat sans ses pieds plats qui l’avaient fait réformer. Après quoi il y avait pris une part active, et profitable, par la fourniture des obus ; ce qui l’avait mis sur le chemin de la fortune. Il avait alors manifesté son patriotisme en souscrivant aux emprunts nationaux, qui d’ailleurs portaient bon intérêt, et au Fonds patriotique, afin que son nom parût sur les listes, dans les journaux. Cela lui avait donné le sentiment de faire quelque chose dans ce conflit. Mais le soir de l’Armistice, il n’avait pu s’empêcher de songer, tout en festoyant avec les autres :

« Un an de plus, et ma fortune était faite. La paix arrive juste comme j’allais faire ma boule. »

Et parce qu’il venait d’agrandir son usine dans l’espoir de nouveaux contrats, il avait eu le sentiment que le sort n’avait pas été juste à son endroit.

Cette guerre-ci ne le touchait pas directement. Au début, et comme tout le monde, il ne l’avait point cru sérieuse. Les plaines de Pologne étaient si loin ; puis l’hiver ’39-’40 si calme. Une guerre pour la frime. Au fond, cela lui plaisait qu’il en fût ainsi. Il eût été fâché d’avoir cédé son