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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/316

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LE POIDS DU JOUR

usine à plus fins que lui. Il avait souhaité la paix, mû par le désir secret que la British Motors en fût pour ses frais. Qui sait ? Peut-être, l’alarme passée, pourrait-il racheter le tout, modernisé et agrandi considérablement, pour un prix de misère. Comme bien de guerre. De sorte que, après tout, il aurait fait une bonne affaire. Et se regardant dans le miroir, en se rasant, il s’était fait un clin d’œil complimenteur.

Puis la blitz était venue. La guerre s’était faite sérieuse ; de sérieuse, grave ; de grave, catastrophique. Le monde entier avait résonné au bruit formidable de la chute de Paris. De si loin, on avait vu le nuage de sinistre poussière soulevé par l’écroulement de la France. Les journaux persistaient obstinément dans leur optimisme de commande, quand autour de lui les gens prenaient l’habitude de la défaite. Personne ne le disait, mais il semblait à beaucoup que la guerre fût quasi terminée. Il faudrait s’arranger d’une Allemagne brutale. Dans le secret de leur pensée, certains cherchaient déjà des compensations, des accommodements. Il en est qui se proposaient de se mettre à l’allemand sans plus tarder.

Cet été-là, les chaleurs prolongées avaient tenu Robert hors de Montréal. Il avait fait à Saint-Hilaire de plus longs séjours. En sorte que, isolé dans son coin de montagne, il n’avait eu avec les événements que des contacts peu sensibles, par la radio et le journal. Il n’avait à l’armée ni fils ni parent. D’ailleurs les troupes canadiennes, immobilisées en Angleterre, ne combattaient point. Dans la paix des campagnes laurentiennes où presque tous les jeunes gens restaient sur les fermes, rien ne rappelait le monde cruel et angoissé de là-bas. Les prés étaient riches de moissons et dans les arbres opulents chantaient les oiseaux. C’était, semblait-il, d’une autre planète que parlaient les journaux.

Des amis de Jocelyne, pourtant, quelques-uns étaient partis. Louis Langis était officier de marine. Il était même venu à Saint-Hilaire avec son uniforme bleu seyant et la barbe folichonne qu’il se laissait pousser. Bernard Carrière était en Angleterre. Lucien Saint-Jacques sur les côtes du Pacifique. Les frères Henrichon dans la Royal Air Force où venaient d’entrer aussi Roger Laplante et Gérard Aubin.