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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/407

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LA SOUMISSION DE L’HOMME

— Ah oui !… Pensez-vous que c’est un beau travail ! J’ai été réparé par le professeur Kônigmann. Il m’a fait une vraie belle job. Tout ce côté-là avait été brûlé jusqu’à l’os, comme mon bras. Mais j’ai heureusement eu la chance de tomber sur le meilleur spécialiste de toute l’Allemagne. Un as !

Avec effort, les yeux de Robert quittèrent le visage méconnaissable et presque hideux ; ils se posèrent sur la poitrine. Il compta les rubans : huit. Il y avait huit rubans. Une bouffée de fierté le pénétra.

— Cré tac ! Faut croire que tu ne t’es pas mal conduit ! Huit médailles !

Car à force de l’entendre, il avait pris l’exclamation de Pétrus.

— Oh ! vous savez, papa ! Faut pas vous en faire. La plupart ne veulent pas dire grand’chose.

Le père ne le crut évidemment pas ; mais, il fut heureux de sa modestie. Adrien, lui, avait déjà de la valeur des décorations américaines une idée peu favorable. Que Lionel l’avouât ne pouvait que le satisfaire. Cela diminuait la distance qui pouvait les séparer aux yeux de certains. Il saurait à l’occasion faire état de cet aveu. Parce que cela l’eût gêné, il préférait ne pas trop regarder en son beau-frère le personnage que voyaient en lui le père et la sœur.

— Viens voir ta chambre, Lionel, dit Jocelyne. Il s’était fait un silence. Et mon Michel ! Tu n’as pas encore embrassé mon Michel, ton neveu ! Michou ! regarde, c’est ton nononcle, nononcle Ionel… Il comprend, tu sais. Mais il ne peut pas encore parler. Viens. Ta chambre est en haut.

— Oh ! Ce n’était pas la peine…

Il allait continuer ; ajouter : « … pour si peu de temps ». Mais il se retint.

Pour Robert Garneau, les jours suivants furent des jours de triomphe. Il promena son héros presque de maison en maison. Il ne manquait pas de rappeler qu’il avait lui-même fait l’impossible pour s’enrôler en 1914. On alla chez Laurier Duval qui sortit son cidre bouché. Chez monsieur Poliquin, le député, qui leur répéta un discours qu’il avait fait en Chambre trois ans plus tôt. Au magasin, où Lionel en raconta aux habitués. Et chez cousine Cécile, madame Henri Duval, qui en profita pour récapituler toute la parenté. Jusqu’à Saint-Hyacinthe, où l’on fut saluer le docteur Marcel Gauvreau. C’était maintenant le père qui imaginait les visites et organisait les excursions.

À quelques jours de là, le vieux Gladu, celui du bas de la côte, s’éteignit subitement. La veille, assis comme d’habitude sur son perron. Le lendemain, sur les planches.

La nouvelle surprit tout le monde. Il était là depuis si longtemps. Personne n’existait plus qui l’eût connu autrement que vieux, sec et