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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/408

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LE POIDS DU JOUR

sentencieux. Sa disparition faisait le même effet que si le vent eût emporté le Pain-de-sucre qui coiffait le plus haut sommet de la montagne. Sans le Pain-de-sucre ou sans le vieux Gladu, la montagne ne serait plus la même.

— Il avait quel âge ?

— Dans les quatre-vingt-dix passés. Certain !

— Mais non. Je le sais : il aurait eu seulement quatre-vingt-six à la Toussaint.

— Tiens ! Je le pensais plus vieux que ça.

Pour ses funérailles, les maisons se vidèrent de leurs hommes. Garneau n’y manqua point. Avec les autres, il suivit en auto le corbillard modeste tout au long du chemin qui ondulait au flanc de la montagne. Par moments, une échappée entre les pommiers montrait la plaine étale et muette. Puis le cortège descendit vers le village, jusqu’à l’église, dont les portes accueillantes s’ouvrirent toutes grandes pour recevoir une dernière fois celui qui y était venu tant et tant de fois, depuis quatre-vingt-six ans que, tout enfant, on l’avait porté sur les fonts baptismaux. Les mêmes arbres, un peu plus vieux, tendaient leurs branches au-dessus de l’allée. La même rivière, un peu moins boisée, coulait entre ses berges dont une demi-sécheresse exposait la boueuse nudité. Seuls étaient changés les hommes. Et les maisons que les hommes font à leur image : on voyait désormais sur les deux rives, en Belœil comme en Saint-Hilaire, plus de bois que de pierre solide.

Après le service, on monta au cimetière. Chacun jeta sa poignée de terre sur ce cercueil léger où semblait enfoui tout le passé de la montagne.

C’était un samedi. Personne n’était pressé. On était fin août, durant cet intermède, entre les travaux, où l’homme n’a plus rien à faire dans les vergers qu’attendre du soleil qu’il mette aux fruits les dernières touches de couleur. Chaque propriétaire passe entre les rangées opulentes. Il compte à l’avance le nombre de barils de sa récolte ; et, soigneusement, étaie d’une béquille fourchue la branche trop chargée qui s’écrase et menace de fendre le tronc du vieux pommier.

À la porte du cimetière, les hommes se rassemblèrent un moment. On ne parlait plus du père Gladu. Celui-là, c’était déjà le passé. Mais on parlait de tout cela qui avait été la vie du vieil homme et qui pour toujours était la leur :

— Avez-vous encore de la tavelure, dans les Trente, cette année ?

— Ça peut faire, cette année. Et vous autres ?

— Pas trop. Presque pas. Mais j’ai trouvé du ver tarière dans mes petits jeunes, du côté de la montagne.

— Vous savez que Jos. Robichon a arrosé ces arbres avec un stuff nouveau. Pour empêcher les pommes de tomber avant le temps. Il paraît que c’est bon.