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HÉLÈNE ET MICHEL

— Il ne faut pas pleurer, Michel. Nous allons être heureux, tu sais, tous les deux ensemble ; tous les deux seuls. Tu verras.

Dans son âme tordue par le vent, mouillée par l’orage, un soleil tiède se fit jour ; et des oiseaux se mirent à chanter.

Jusqu’à la fin de la semaine, rien ne se passa. Ils respiraient tous deux cet air allégé comme au premier beau jour de printemps qui ouvre sur la campagne renaissante les fenêtres que l’hiver avait condamnées. Michel pourtant ne pouvait se défendre d’une nouvelle inquiétude ; de quoi allaient-ils vivre maintenant que le père ne serait plus là pour fournir le pain quotidien ? La mère laissait passer les jours et ne parlait point de cela. De sorte que l’enfant se demandait si elle n’attendait pas de lui une décision. Mais un tel calme régnait dans la maison assoupie par les chaleurs de fin juillet qu’il se laissait engourdir dans une torpeur complaisante depuis que le sourire de sa mère avait pansé la plaie de son remords. Il chassait instinctivement de son esprit l’image du disparu. Et quand malgré tout ce spectre prenait forme en lui, il appelait à son secours pour le conjurer la toute-puissance des mauvais souvenirs.

Il lui faudrait pourtant, décidément, travailler et gagner leur vie à tous deux, trouver quelque chose d’immédiat. Cela ne lui paraissait point facile. Son esprit repassait, sans trouver, chacun des métiers qu’il avait sous les yeux et chacune des boutiques de la grande rue. Quant à la musique, il était surpris que l’idée lui en importât si peu désormais ; jusqu’à ce qu’il se rendît compte que cet instinct, chaque fois qu’il renaissait, évoquait en même temps le souvenir du père et des tourments qu’il lui avait dus. C’est pourquoi, d’un geste précipité il repoussait instinctivement dans l’ombre ce récent et mauvais passé, jetant pêle-mêle dans la fosse profonde de l’oubli toutes les bribes de cette vie à laquelle était mêlé le disparu. Comme s’il eut craint que le retour à sa passion, que toute musique même éveillât la Furie qui dormait au fond de sa conscience d’un sommeil encore trop léger.

Le dimanche après-midi vit arriver monsieur Lacerte qui de quelques jours ne s’était montré.

— Bonjour, Michel, bonjour ; et… comment ça va, aujourd’hui ? Il avait l’air d’humeur radieuse.

— Très bien, mon oncle, ça va très bien.

— Ta mère est un peu reposée maintenant ?

— Je pense que oui.

— Bon, bon. Dis donc, mon Michel, sais-tu que tu grandis tout le temps.

— Vous trouvez ?

— Certain ! Tu grandis. Si tu continues tu va dépasser ton… ta mère. Elle est là, ta mère ?