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Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/52

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LE POIDS DU JOUR

sentait frappé dans le dos par les regards curieux qui cherchaient un meurtrier. Ceux qui le regardaient en face n’allaient-ils pas saisir en ses yeux le reflet de la haine qui hier encore y flambait, cette haine monstrueuse contre un homme qui était son père ? Puis le regard se détachait, fuyait comme saisi d’horreur pour le fils dénaturé qu’il avait été.

Tout ce temps Hélène se tenait un peu à l’écart et semblait se retirer de ce deuil comme s’il n’eut pas été tout à fait le sien. Monsieur Lacerte, toujours fidèle, venait chaque jour, à l’heure où les autres partaient dîner. Il y avait à régler les funérailles et tant de choses ! Il s’enfermait avec la veuve ; et le bruit confus de leur conversation venait jusqu’à Michel à travers la mince cloison. Quand elle se prolongeait, le jeune homme se sentait pris de panique ; car il se trouvait seul dans la pièce, seul avec le mort sournoisement enfermé dans sa boîte vernie dont la forme et la couleur lui rappelait bizarrement son violon.

Les funérailles passées, Hélène et Michel se retrouvèrent à la maison. Les commères qui avaient tenu compagnie à la veuve, pendant le service et la mise en terre à quoi les femmes n’assistent point, étaient reparties vers leur cuisine. Le vide s’était fait, absolu, définitif. Aucune parole ne s’échangeait qui ne fut strictement nécessaire. L’enfant, luttant contre son remords, errait de pièce en pièce :

— Pourquoi ne vas-tu pas dormir un peu, maman ? Tu dois être fatiguée.

Hélène, qui était assise dans un fauteuil du salon dont elle avait déjà ouvert les persiennes et remis les meubles en place, porta doucement les mains à sa nuque, soulevant la masse de ses cheveux de son geste coutumier. Puis elle regarda Michel qui se tenait debout, entre les sourcils une ride verticale qui était sa première. D’un mouvement doux elle le prit par la main et l’attira vers elle, la tête sur son épaule et lui dit simplement :

— Mais toi aussi, Michel, tu as besoin de te reposer. Nous allons dormir tous les deux. Après, nous verrons. Et regarde dehors, comme il fait beau. Nous avons un bien bel été.

Alors le cœur de l’enfant se rompit ; il éclata en sanglots hoqueteux. L’averse venait enfin où son angoisse allait se dissiper. Assis sur le parquet, il roulait son visage humide de larmes sur les genoux maternels en disant à travers ses hoquets :

— Maman, maman !

Il leva vers elle ses yeux gonflés, cherchant quelque chose qu’il ne savait demander mais qui était l’absolution de sa lourde faute.

Il la vit alors qui ne pleurait point, qui lui souriait doucement de son sourire de tous les jours. Et l’embrassant à son tour elle lui dit :