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CHAPITRE

IX


MICHEL  s’était arrêté sur le seuil de la porte, hésitant à plonger dans la mare glaciale de cette nuit de novembre dégoûtante de pluie.

— Tu sors, Michel ?

— Oui, maman. Il faut que j’aille à la banque.

Hélène regarda la lampe à travers le verre qu’elle essuyait ; elle souffla dessus, bouche ouverte, et le polit jusqu’à ce qu’il fut brillant à son gré.

— Tu vas à la banque, ce soir ?

— Oui ! Monsieur Jodoin m’a demandé de vérifier. Il y a une erreur de soixante sous.

— Soixante sous ! Et c’est pour ça que l’on te fait travailler le soir, mon pauvre Michel. C’est effrayant être avare de même. Qu’est-ce que ça ferait à la banque, de perdre soixante sous ? Elle est bien assez riche. Et si c’est monsieur Jodoin qui les perd, les soixante sous, il n’en mourra pas !

— Mais tu ne comprends pas, maman.

Il prit un air important, teinté de condescendance envers l’ignorance de sa mère et son incompréhension des affaires.

— Ce n’est pas pour le soixante sous, vois-tu. Mais il faut que cela balance.

— Et si ça ne balance pas, qu’est-ce que ça peut bien faire ?

— Mais il n’est pas question que ça ne balance pas. Il faut que je trouve l’erreur. Monsieur Jodoin a essayé, il n’a pas réussi. Et si je ne la trouve pas, c’est moi qui paye. C’est le règlement.

— Alors si tu faisais une semaine une erreur de six piastres, tu perdrais tout ton salaire ?

— Évidemment. Mais je ne fais pas d’erreurs de six piastres, ni d’erreur de soixante sous.

— Drôle d’affaire, tout de même !… As-tu mis tes claques ?

— Non, elles sont percées.

Hélène poussa un petit soupir, de la bouche seulement. Elle rangeait les assiettes dans l’armoire. Il faisait dans l’étroite cuisine une chaleur enveloppante et grasse qui lui mettait au front un diadème de fines perles de sueur. Et la bouilloire recommençait de chanter sur le poêle.

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