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HÉLÈNE ET MICHEL

Toutefois, et maintenant surtout qu’il allait avoir dix-neuf ans, qu’il vivait dans le cercle plus animé du bourg, habitant non plus un chemin mais une rue où gens et maisons se touchent, il se rendait compte que leur vie à tous deux n’était pas tout à fait normale. Il s’était demandé si l’isolement ne pesait point parfois à sa mère.

— Pourquoi ne vas-tu pas parfois veiller chez les gens, maman ? Cela te distrairait.

— Mais pourquoi, Michel ? Je suis très bien ici. Tu t’ennuies avec moi ? Moi, je suis heureuse ainsi.

À cela il n’avait rien répondu.

Il s’étonnait néanmoins de la voir sourire à sa solitude. Elle était libre désormais, puisque veuve. Avec tout ce qu’elle avait conservé, à trente-sept ans, de joliesse et de fraîcheur, elle eût pu et même dû songer à refaire une vie qui n’avait point été heureuse et qu’il n’était pas trop tard pour reprendre à neuf. Michel y songeait parfois, depuis peu. Mais, en même temps, il n’envisageait pas sans quelque répugnance l’idée qu’un autre que lui pût occuper une place auprès de sa mère. Il se reprochait alors son égoïsme.

Il y avait pourtant un homme qui tout naturellement se fût placé dans le décor de leur vie. Monsieur Lacerte était veuf, sans enfant. Il était son parrain et le seul ami qu’ils eussent. L’homme d’affaires n’avait jamais cessé de témoigner à Hélène une bienveillance aimable et courtoise et d’avoir souci de son filleul. Certes, il avait près de cinquante ans ; néanmoins, Michel avait cru percevoir que la petite ville avait été dans l’attente de ce mariage et que les commères avaient été désappointées qu’il n’eût pas lieu.

Michel lui-même y avait fait devant sa mère quelques allusions obliques. Hélène n’avait point paru comprendre. Tout au plus lorsque la pensée de son fils s’était faite inévitablement perceptible avait-elle eu un léger froncement de sourcils, un demi-sourire un peu amusé et, en même temps, peut-être légèrement gêné. Elle n’avait pas autrement répondu et Michel n’avait eu garde d’insister. D’ailleurs, il ne lui déplaisait pas, au fond, que sa mère restât ainsi toute entière à lui, sans partage. Il s’était aisément fait à cette petite et douce existence à deux, pareille à un mollissant après-midi d’été après une matinée d’orage.

Pour ce qui était de lui, pourtant, et bien qu’il ne se le fût jamais avoué, il lui eût été agréable d’avoir avec les camarades de son âge, filles et garçons, un peu plus de contact. Car il avait atteint cette époque de la vie où la camaraderie est un besoin normal. Tout en adorant sa mère, maintenant qu’il était un homme il commençait de sentir s’accentuer tout ce qui le pouvait séparer d’elle. Tout d’abord la conscience lui était venue, avec