Aller au contenu

Page:Ringuet - Le Poids du jour, 1949.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
75
HÉLÈNE ET MICHEL

en enfant. Il avait pris conscience de son charme réel, de sa joliveté. Hélène Garneau était encore, à trente-neuf ans, la femme la plus séduisante de la ville. Les hommes se retournaient sur son passage. Et s’ils étaient deux, ils échangeaient encore à mi-voix quelque polissonnerie. C’est à peine si les années avaient alourdi ses paupières et ombré la bouche d’un pli léger. Mais son teint gardait la fraîcheur du jour et sa taille était celle d’une jeune fille.

Il n’en allait pas autrement de son esprit que rien ne parvenait à rider. Si la boutique de chapeaux donnait un peu, elle en dansait presque de joie ; si de la journée aucune cliente ne s’était montrée elle disait naïvement :

— Mon Dieu, que l’on est bien quand on est tranquille. Je n’ai pas été dérangée une seule fois.

Elle ne montrait d’excitation réelle que lorsque, revenue de Montréal, elle déballait ses colis de rubans, de fleurs et de formes fantaisistes qu’elle voyait déjà transformées en « bijoux de chapeaux ». Pourtant ces voyages commençaient à la fatiguer un peu ; elle en revenait les yeux tirés et les pieds brûlés par l’asphalte des trottoirs.

— Je ne peux plus aller à Montréal et revenir la même journée. Cela me met à terre pour une semaine. Je crois que maintenant lorsque je serai fatiguée, je passerai la nuit à Montréal. J’ai trouvé une maison de pension très bien près de la gare ; chez une dame Mallette. Elle est bien gentille. J’espère que cela ne t’ennuie pas si une fois de temps à autre tu couches seul à la maison ?

— Mais jamais de la vie, maman. J’aime bien mieux que tu ne te fatigues pas. Si tu passes la soirée à Montréal, tu pourras aller au théâtre. Peut-être monsieur Lacerte serait-il bien content de pouvoir se montrer avec une belle femme comme toi. À moins que son amie ne soit trop jalouse.

— Monsieur Lacerte ! Oh ! tu sais, je ne le vois pas chaque fois que je vais à Montréal. Il est trop occupé. Je ne voudrais pas le déranger.

Depuis lors, il arrivait que ses achats tinssent Hélène absente du foyer deux pleines journées. À son retour, elle trouvait toujours la maison en bon ordre, la vaisselle lavée et rangée par Michel et même, maintenant que c’était le printemps, la petite maison fleurie d’anémones et de violettes qu’il avait mises dans les deux petits vases, de chaque côté de la grande glace de modiste.

Elle lui faisait alors des joies d’enfant inespérément gâtée. Michel en était touché. Cela lui inspirait en même temps vis-à-vis de sa mère une tendresse particulière. Ce qu’il ressentait alors et de plus en plus, ce n’était point un amour filial mais bien un sentiment presque paternel qui lui était venu peu à peu, à mesure que plus mûr, mieux capable de juger, il