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LE POIDS DU JOUR

s’était rendu compte que la douceur et le charme de sa mère étaient surtout faits d’indécision et d’imprévoyance. Étranger, il eût deviné que chez Hélène la sensibilité n’était que de surface. Elle avait une façon confiante, touchante et dangereuse, de se laisser aller au cours des choses, de chercher la voie facile, d’éviter les montées qui s’offraient un peu dures ; préférant faire un détour, pourvu que ce chemin de côté eût un peu de soleil, qu’il fût en même temps ombragé et qu’elle pût s’arrêter à cueillir un brin de foin d’odeur ou à regarder un écureuil faire de l’équilibre sur une branche de frêne. Au vrai, elle adorait les fleurs champêtres. Et c’est bien ainsi que son Michel la voyait, la tête couronnée de marguerites comme une petite fille, ne faisant d’ailleurs pas de frais d’imagination, ne jouant ni à la reine ni à la bergère, mais contente de sourire simplement au soleil souriant, sans songer que bientôt viendrait le soir puis la nuit.

Néanmoins, les absences relativement fréquentes de sa mère avaient fait sentir à Michel le poids de la solitude. Il se trouvait esseulé dans ce petit univers calme, cohérent et étroit de Louiseville, où personne n’était étranger et chacun mieux que cousin. Il se sentait anormalement isolé. On ne semblait point rechercher sa compagnie. Il ne laissait pas de le deviner, et qu’il n’était pas traité comme les autres jeunes gens de son âge et de sa condition. Il savait aussi pourquoi : on n’oubliait pas de qui il était le fils. Son père avait été la risée, presque la honte du bourg. Monsieur Jodoin avait une façon de le présenter :

— Mon comptable… disait-il à voix haute ; puis il ajoutait précipitamment, d’une voix indistincte :

— … Michel Garneau.

C’est un peu par orgueil qu’il décida que lui aussi aurait une amie.

Il l’avait d’abord remarquée à l’office du mois de Marie où elle était apparue un beau soir dans le banc de mademoiselle Béland. Il l’avait vue ainsi obliquement, à quelques pieds en avant et de côté. Ses yeux s’étaient arrêtés sur un chapeau à grande boucle de ruban bleu qu’il ne connaissait pas, puis sur la nuque que les cheveux tirés en un haut chignon laissaient dégagée. Elle avait tourné la tête vaguement et il l’avait trouvée plutôt gentille.

La surprise avait été de la retrouver le lendemain au bureau de poste, encadrée dans le guichet de la Livraison Générale. Il avait appris qu’elle était des Trois-Rivières, nièce de mademoiselle Béland et que sa mère étant morte, elle habiterait désormais chez sa tante.

Il lui parlait forcément lorsqu’il allait faire les expéditions de la banque. Ce qui attira son regard, ce ne fut ni ses yeux, ni sa bouche, ni les traits d’un visage qui pourtant n’était pas sans charme. Le nez était simple, un peu impertinent du bout où il se relevait juste assez pour rompre la mono-