Page:Riotor - Le Mannequin, 1900.djvu/19

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cent louis et plus, énonçaient les mots tendres à l’aide d’un phonographe ingénieusement caché dans la tête, et nous entendîmes des : Mon chéri ! mon doux amour ! mon trésor ! tendrement modulés d’une voix mourante. Tandis que les paupières battaient sur l’œil retourné et que tombaient les bras inertes, vaincus, à l’abandon.

J’étais stupéfait.

À la sortie de ce palais de femmes dociles, je fis à mon précieux guide les indispensables plaisanteries que pouvait me suggérer ce musée de modernes hétaïres qui épargneraient, — si on en divulguait l’existence, — à tant de fervents travailleurs des dérangements pénibles et souvent périlleux, et tout en lui vantant les avantages de ces poupées de Priape, je lui citais entre autres bienfaits l’assurance que les possesseurs de ces automates avaient d’être garantis contre la jalousie.

— Ne croyez pas cela, objecta mon compagnon, on a des preuves du contraire et dernièrement un vaisseau de Flessingue a été le théâtre d’un drame de fureur jalouse, véritable crime passionnel qui se déroula en plein océan Indien. — Le capitaine avait hospitalisé dans sa cabine un de ces tendres mannequins que vous venez de voir. Il l’avait parfumé d’odeurs spéciales, muni d’un phonographe dont les échos ranimaient ses ardeurs, une conduite d’eau d’une chaudière maintenait à 37 degrés environ la température dans ce corps caoutchouté. Le Marin semblait parfaitement heureux en ménage. — Un jour, notre homme surprit son second en conversation criminelle avec sa docile bien-aimée. Que se passa-t-il dans ce cerveau de navigateur fougueux et brutal ! on ne sait, mais il chancela, il vit rouge, il fut frappé d’une subite folie et, ce qui est certain c’est que, décrochant une hache d’une panoplie, sans mot dire, d’un geste d’indignation et de fureur, il abattit son arme : Le second roula à terre le crâne ouvert, inondant de son sang le caoutchouc satiné de sa complice qui distillait encore, entre