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MANUEL DE LA PAROLE

LE PLAIDOYER BURLESQUE


Je me suis arrêté un jour à Sarlat pour y entendre plaider une cause fameuse par les Cicérons de la ville. Leurs plaidoyers ne manquèrent pas de commencer par le commencement du monde, et de venir ensuite tout droit par le déluge jusqu’au fait. Il était question de donner du pain, par provision, à des enfants qui n’en avaient pas. L’orateur, qui s’était chargé de parler aux juges de leur appétit, mêla judicieusement dans son plaidoyer beaucoup de pointes fort gentilles avec les plus sérieuses lois du code, et les Métamorphoses d’Ovide avec des passages terribles de l’Écriture sainte. Ce mélange, si conforme aux règles de l’art, fut applaudi par les auditeurs de bon goût. Chacun croyait que les enfants feraient bonne chère, et qu’une si rare éloquence allait fonder à jamais leur cuisine. Mais, ô caprice de la fortune ! quoique l’avocat eût obtenu tant de louanges, les enfants ne purent obtenir du pain. On appointa la cause, c’est-à-dire, en bonne chicane, qu’il fut ordonné à ces malheureux de plaider à jeun, et les juges se levèrent gravement du tribunal pour aller dîner. Je m’y en allai aussi…

Fénelon.


LE BON DOMESTIQUE


C’est un parfait honnête homme que M. Joanetti.

« Morbleu ! lui dis-je un jour, c’est pour la troisième fois que je vous ordonne de m’acheter une brosse ! Quel tête ! quel animal ! » Il ne répondit pas un mot : il n’avait rien répondu la veille à une pareille incartade. « Il est si exact ! » disais-je ; je n’y concevais rien « Aller chercher un linge pour nettoyer mes souliers, » lui dis-je en colère. Pendant qu’il y allait, je me repentais de l’avoir ainsi brusqué. Mon courroux passa tout à fait lorsque je vis le soin avec lequel il tâchait d’ôter la poussière de mes souliers sans toucher à mes bas : j’appuyai ma