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MANUEL DE LA PAROLE

roule et cache, dans les fanges de son lit, des immondices et des cadavres, l’âme — même chez les moins coupables — est pleine de honteux secrets.

Rester pur en ce monde, c’est l’impossible et désespérant effort ; le redevenir dans une vie nouvelle, quel idéal, quelle sublime espérance ! Ce fleuve, que la mer qui descend aspire avec de profonds râles, se purifiera dans le sel de l’immense océan. Pauvre âme, flétrie par l’existence et profondément troublée au seuil du grand mystère, tu oses rêver, toi aussi, d’innocence immortelle ! C’est pourquoi tu songes, aujourd’hui, à tous ces vieux clochers d’églises et de cathédrales que le fleuve a réfléchis dans ses ondes et que tu as si souvent rencontrés sur ta route sans obéir à leur geste solennel. C’est pourquoi tu réponds enfin au signal de ces antiques flèches de pierre, qui te montrent le ciel avec confiance et t’ordonnent la prière et la foi.

François Coppée.


LA CHANSON DU FER


Le Fer est posé sur l’enclume,
Et, prêt au labeur journalier,
Déjà le forgeron allume
Le feu rouge de l’atelier ;
Puis, joyeux, l’ouvrier commence
La chanson qu’il dit en cadence,
Au bruit du marteau régulier :

« Ô Fer ! tu possèdes une âme,
Car j’entends souvent ton sanglot !
Quand tu sortiras de la flamme,
Ici-bas, quel sera ton lot ?… »
— Forgeron ! que ma voix réponde !
Tu forges le malheur du monde…
La guerre éclatera bientôt.