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MORCEAUX CHOISIS

Dame Confusion voulut, par convenance,
Lui rougir le visage. Ô prodige accablant !
Sur cet indigne front couronné d’insolence
Le rouge ne prit pas, et Pierrot resta blanc.

Mais il fut tout honteux d’une telle chicane,
Honteux comme un Pierrot peut l’être : indifférent
Aux blessures du cœur, son plus chétif organe,
L’estomac seul était ce qu’il avait de grand.
Figurez-vous, messieurs, pour en avoir l’image,
Un vrai garde-manger, un buffet, même un four,
Un… Mais, chut ! j’aperçois un nouveau personnage
Qui, pour venir vers nous, fait un large détour.

C’est un chien, à poil ras… Il s’arrête, il regarde,
Et soudain, sans façon, le maudit animal,
Au pied de la borne où Pierrot monte la garde,
Comme un vrai chien qu’il est, se comporte assez mal.
Le plus, considérant, sans politesse aucune,
De ce blême orgueilleux les traits enfarinés,
Il croit tout simplement reconnaître la lune
Et se met aussitôt à lui japper au nez.

Et puis, c’est un oiseau qui vient sur son épaule
Becqueter pour son nid quelque léger duvet.
« N’as-tu pas honte, hélas ! lui dit l’oiseau, vieux drôle,
De cet air martial que ton orgueil revêt ? »
Et puis l’oiseau s’envole. Un autre le remplace :
C’est un joyeux pierrot, son frère par le nom :
« Eh quoi ! mon homonyme, encore à cette place !
Qu’y fais-tu ? de l’esprit ? Je suppose que non. »

La conversation fut vite interrompue
Par deux individus qui causaient librement.
C’étaient le vieux Cassandre à la tête crépue,
Et son gendre Arlequin, ce négrillon charmant.
Pierrot en les voyant fit un peu la grimace,
Puis soudain il reprit son immobilité.