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MANUEL DE LA PAROLE

« Tubleu ! dit Arlequin, je connais cette face !
— Je la connais aussi, fit Cassandre irrité.

C’est l’horrible Pierrot. — Sangodemi ! beau-père,
Reprit mons Arlequin, parlons bas, s’il vous plaît.
Nous allons tous les deux rire avec le compère,
Et tous deux le traiter comme un rustre qu’il est. »
Puis, tout haut, Arlequin ajoute d’un air tendre :
« Beau-père, voyez donc ce chef-d’œuvre parlant,
Ce portrait de Pierrot. — C’est vrai, répond Cassandre,
L’artiste qui l’a fait avait un fier talent.

Certe, il est évident que ce chef-d’œuvre rare
Est taillé dans l’albâtre. — Oh ! non, dit Arlequin,
C’est du marbre tout pur, du marbre de Carrare ;
Voyez sa dureté. » Notre rusé coquin
Accompagne ces mots d’un grand coup de sa batte,
Que notre ami reçoit tout en se consolant ;
Mais Cassandre aussitôt d’un coup de poing constate
Que Pierrot est d’albâtre et non de marbre blanc.

« Non, reprend Arlequin, non, moins lisse est l’albâtre ; »
Et, paf ! à la statue il donne deux soufflets.
Puis Cassandre, affirmant qu’elle doit être en plâtre,
D’un large coup de pied lui meurtrit les mollets.
Enfin, pour en finir, dans leur ardeur guerrière,
Ferme, sur ce grand corps d’outrage éclaboussé,
Ils discutent tous deux de si bonne manière,
Que de son piédestal Pierrot est renversé !

Tel est le dernier mot de ce récit burlesque,
D’où la moralité surgit sans accident.
Vous la dire, messieurs, serait trop pédantesque ;
Ne vous en point parler est peut-être imprudent.
Néanmoins, sans remords je me tais pour ma gloire ;
Mais si, par grand hasard, vous connaissiez un sot,
En deux mots seulement contez-lui mon histoire,
Et souvenez-vous bien de notre ami Pierrot.

Léopold Laluyé