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qui seront toujours les premiers monumens de l’Italie & le charme de tous les hommes. Qui pouvoit donc arrêter la domination d’une telle Langue ?

D’abord une cause tirée de l’ordre même des événemens : cette maturité fut trop précoce. L’Espagne, toute politique & guerriere, ignora l’existence du Tasse & de l’Arioste : l’Angleterre, théologique & barbare, n’avoit pas un livre, et la France se débattoit dans les horreurs de la Ligue[1]. L’Europe n’étoit pas prête & n’avoit pas encore senti le besoin d’une Langue universelle.

Une foule d’autres causes se présente. Quand la Grèce étoit un Monde, dit fort bien Montesquieu, ses plus petites Villes étoient des Nations : mais ceci ne put jamais s’appliquer à l’Italie dans le même sens. La Grèce donna des Loix aux barbares qui l’environnoient, et l’Italie, qui ne sut pas, à son exemple, se former en République fédérative, fut tour-à-tour envahie par les Allemands, par les Espagnols & par les Français. Son heureuse position & sa Marine auroient pu la soutenir & l’enrichir ; mais dès qu’on eut doublé le cap de Bonne-Espérance, le commerce des Indes passa tout entier aux Portugais, & l’I-

  1. Le Tasse étoit en France à la suite du Cardinal d’Este, précisément au tems de la Saint-Barthelemy. Il est bon d’observer l’Ariofte & lui étoient antérieurs de quelques années à Cervantes & à Lopès de Vega.