Page:Rivarol - De l'universalité de la langue française.djvu/80

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Page 4. Ces deux mots expriment la phyſionomie, &c.

On y voit le perpétuel changement du v en b, & de l’eu en ou. Fleurs & flours ; pleurs & plours ; ſenteur, ſentour ; douleur, doulour, &c. La femmeu, la femmou, &c. Ainſi l’e muet, comme on voit, ſe change en ou à la fin des mots, & fuit à l’oreille comme l’eu des Français. Dans ces patois, les ch deviennent des k : château eſt castel ; chétif, cartivo ; chapeau, capel, Charle, Carle &c. Ces jargons font jolis & riches ; mais n’étant point annoblis, ils ont le malheur de dégrader tout ce qu’ils touchent.

Idem. Un Auteur Italien, &c.

C’eſt Brunetto Latini, Précepteur du Dante. Il compoſa un ouvragc intitulé Teſbretto, ou le petit Tréſor, en Langue Françaiſe, au commencement du treizieme ſiecle. Pour s’excuſer de la préférence qu’il donne à cette Langue ſur la ſienne, voici comment il s’exprime : « Et s’aucuns demande porquoy chis livres eſt eſcris en Romans, ſelon le patois de France, puiſque nous ſommes Italiens, je diroé que c’eſt pour deux raiſons, l’une por ce que nous ſommes en France ; l’autre ſi eſt por ce que François eſt plus délitaubles langages & plus communs que moult d’autres. » Brunet Latin étoit exilé en France : les Poéſies de Thibaut, Roi de Navarre & Comte de Champagne, les Romans de Chevalerie & la Cour de la Reine Blanche, donnoient du luſtre au Français ; tandis que l’Italie, morcellée en petits États, & déchirée par d’horribles factions, avoit quinze ou vingt patois